Commentaires sur Contes et Légendes d'Espagne



Malgré la présence de nombreux textes adaptés de grands classiques de la littérature espagnole, le mot “Récits” n'apparaît pas dans l'intitulé. Le mot “Contes” a effectivement toute sa place, puisqu'il constitue toute la première partie. Et si le terme “Légendes” a été préféré à celui de “Récits”, c'est possiblement en raison de la nature extravagante et pittoresque de l'essence picaresque espagnole, qui fait des protagonistes de ces récits enjoués, de véritables héros de légende, hauts en couleurs.
D'ailleurs, Légendes espagnoles fut le titre initial un temps attribué à l'ouvrage (le mot “Contes” n'y figurait donc pas), dans l'idée que peut-être la littérature picaresque suffirait à elle seule à fournir la matière au recueil. Une révision du projet sur la demande de l'éditeur d'y inclure également des contes plus populaires est possible, et rejoindrait en cela d'autres observations et constats du même genre que nous avons déjà pu faire par ailleurs.
Précisons qu'une trentaine d'années auparavant, une publication française de 1885, chez Firmin-Didot, avait déjà porté ce même titre de Légendes espagnoles, mais pour un contenu qui n'avait strictement rien à voir (traduction d'un ouvrage espagnol de Gustave Becquer par Achille Fouquier).

Le sommaire, tel qu'il apparaît dans la table des matières, est scindé en deux parties, non titrées, simplement numérotées en chiffres romains : la première partie est constituée de contes populaires proprement dits, la seconde d'adaptations de grands classiques de la littérature espagnole, et notamment picaresque. Mais (dans l'édition de 1956 en tout cas) ces deux divisions n'apparaissent nullement à l'intérieur même de l'ouvrage, les différents textes se succédant dans un même ensemble, sans que ces deux parties soient mentionnées.

Aussi incroyablement injuste que cela puisse paraître vis-à-vis, notamment, de son confrère alsacien, ce cinquième volume (et dernier de l'ère du type 0, autrement dit de l'ère tout public) a conservé l'intégralité de son contenu au moment de basculer du type 0 au type 1, autrement dit de l'ère du tout public à l'ère du jeune public.
Cette réorientation éditoriale s'opère en 1924 avec la publication de Légendes du Monde grec et barbare de Laura Orvieto, premier ouvrage de la collection à être clairement destiné à la jeunesse. Contes et Légendes d'Espagne est le dernier né mais le premier à opérer cette bascule, en 1925. Suivra Contes populaires russes en 1926, Légendes et Contes d'Alsace et Épopées et Légendes d'Outre-Rhin en 1928 et enfin Contes et Récits d'Outre-Manche en 1929.
Contes et Légendes d'Espagne est celui qui se sortira le mieux de cette opération, Légendes et Contes d'Alsace celui qui en souffrira le plus.
En effet, pour mener à bien l'opération chez l'Alsacien, on lui retire 148 pages en l'amputant de 11 contes ! Son confrère d'outre-Rhin ne s'en tirera guère mieux. Le Russe et le Britannique verront leur opération se muer en don d'organes, lesquels seront greffés sur deux nouveaux recueils. L'opération réussit en revanche parfaitement pour l'Espagnol : incompréhensiblement, lui, et lui seul, parvient à conserver ses 395 pages d'origine et donc l'intégralité de ses textes ! C'est le plus épais volume de type 1 qu'on puisse rencontrer ! Et le seul de notre connaissance.
En 1953, la chirurgie éditoriale a fait d'énormes progrès et on réussit à retirer au recueil espagnol 145 pages sans toucher au texte, en réduisant la police d'écriture. Le procédé n'est pourtant pas nouveau. Mais jusque dans les années 1940, cela revient moins cher à l'éditeur d'effectuer des coupes franches pour réduire le nombre de pages, plutôt que de modifier la police d'impression de la matrice. À l'époque, modifier les caractères employés, c'est bouleverser tout le modèle de mise en page choisi par l'éditeur pour l'ensemble des ouvrages de la collection. L'apparition de la photocomposition à la fin des années 1940 va permettre une souplesse dans le travail d'impression et autoriser des modifications plus importantes lors des réimpressions.