Commentaires sur Épopées et Légendes de l'ancienne Grèce



Les Écueils d'un recueil


Apparition fugace


Ce titre apparaît dans le programme de publications dès le premier volume, Contes populaires russes, en 1913, alors baptisé Légendes de la Grèce. Mais, contrairement aux cinq premiers titres de la liste, il y figure sans nom d'auteur, comme s'il s'agissait d'un projet “moins avancé” que les autres.

Un peu plus tard, au cours de la même année, lors de la publication de Légendes et Contes d'Alsace, deuxième volume de la collection, Légendes de Grèce (moins mélomane, il a perdu le “la”) demeure inscrit au programme, mais est toujours orphelin de plume.

En 1915, dans la nouvelle édition de Légendes et Contes d'Alsace, dans le programme de publications, pour la première fois, un nom d'auteur est attribué : L. Lebailly.
Le titre devient Épopées et Légendes de l'ancienne Grèce.
Pourquoi “Épopées” ? Eh bien, coïncidence ou astuce éditoriale d'harmonisation, ce même mot est apparu la même année dans ce même catalogue pour deux autres recueils : Épopées et Légendes d'Outre-Rhin et Épopées et Légendes de l'ancienne Rome.

Il faut reconnaître que le terme “Épopées” est beaucoup plus “odysséique” pour désigner des épisodes de la mythologie antique que le mot “Contes”.
Par ailleurs, malgré les propos d'Ernest Jaubert (voir ci-dessous), l'éditeur craint peut-être que le terme “Contes” ne soit considéré par les puristes comme réducteur : il n'y a qu'à considérer l'évolution symptomatique de l'ancienne expression “conte de bonne fame” en “conte de bonne femme” ! L'ancien français “fame” est à rapprocher du mot anglais et de la racine de notre adjectif, en français moderne, “fameux” ; autrement dit : “un conte célèbre de bonne facture” ou “un conte qui jouit d'une bonne réputation” et non pas, pardonnez-moi l'expression, “une histoire de gonzesse” !
Nathan craignait donc peut-être de faire grincer quelques dents en réduisant à l'état de contes des épisodes de la mythologie gréco-romaine.

En 1923, dans une nouvelle réédition de Légendes et Contes d'Alsace, le titre disparaît purement et simplement des publications programmées… …pour ne plus jamais réapparaître…


Public visé. Cible manquée ? Tir ajusté !


En 1913, dans l'avant-propos des Contes populaires russes, premier volume de la collection (avant-propos qui sert également, de par le fait, de préface à la collection elle-même), Ernest Jaubert écrit :

Trop longtemps dédaignée comme puérile et bonne tout au plus à amuser les enfants et les natures primitives, la littérature populaire est aujourd'hui mieux étudiée et surtout mieux comprise.
[...] Le Folk Lore [sic], c'est-à-dire le répertoire des traditions, légendes et usages populaires d'un pays, peut rendre de réels services à l'ethnographie et à l'histoire. C'est là, d'ailleurs, le moindre mérite de ces contes, sinon pour les érudits, du moins pour les enfants et les grandes personnes restées sensibles aux prestiges de l'imagination, qui goûtent, en ces vieux récits, toujours jeunes, le meilleur moyen d'arracher l'homme aux tristesses de la réalité et de le transporter dans le monde du rêve.
Ces belles histoires du temps passé n'intéressent pas que les petits enfants...

Comme on le voit, les premiers volumes de la collection ne semblaient pas vouloir s'adresser uniquement au jeune public.

C'est peut-être d'ailleurs pour cette raison que les premières couvertures, arborant une illustration montrant deux jeunes gens (adolescents ou adulescents ?) en train de lire, ont très vite laissé la place à des couvertures plus sobres, sans illustration.

Pourtant, peut-être faute de ventes (en 1923, après 10 ans d'existence, le catalogue de la collection ne compte que cinq publications effectives), l'éditeur opère apparemment un virage et décide, entre autre, de publier, en 1924, Légendes du Monde grec et barbare, clairement destiné à la jeunesse puisqu'il s'agit de la traduction d'un ouvrage italien où une mère de famille, Laura Orvieto, raconte à ses enfants l'histoire de la Guerre de Troie.


Épilogue


La nouvelle politique éditoriale visiblement opérée chez Nathan, avec à priori une volonté de recentrer davantage leur collection sur le jeune public, fait du volume de Laura Orvieto un remplaçant idéal pour présenter un épisode-clef de l'Histoire de la Grèce antique de manière peut-être plus abordable que le recueil Épopées et Légendes de l'ancienne Grèce un temps envisagé.
Nous avons peut-être là l'une des raisons de la mise au placard définitive de ce titre.